J'ai vécu quatre ans au Portugal — quatre années partagées entre Lisbonne, la capitale colorée et vibrante, et l'île de Madère, un monde totalement différent, presque onirique.
Deux lieux aux sensations, aux images et aux rythmes radicalement opposés.
Comme si j'avais vécu deux vies dans un même pays.
Mais ne nous étendons pas trop… je ne veux pas que ce texte ressemble à une confession de TikTok.
Pourtant, aussi fort que j'essaie de contenir mes émotions, chaque fois que j'ouvre une bouteille de vin portugais, je ressens qu'un morceau de cette vie se dévoile. Car le Portugal est l'un des rares pays où le vin n'est pas seulement un produit — c'est une culture, une identité, un quotidien.
C'est le son du tramway montant les ruelles de l'Alfama, le rire dans la taverne aux carreaux azulejos colorés, la couleur sombre des montagnes de Madère et les cocktails rafraîchissants à base de maracuja (fruit de la passion) et d'aguardente. https://open.spotify.com/track/2IBJHVCe0FCVodfl9sCA7q?si=b6c35ef4b60148b7
Le monde du vin portugais, bien que riche et plein de caractère, reste pour beaucoup en marge. Il est souvent éclipsé par l'Espagne, la « superstar » de la péninsule ibérique, qui attire toute la lumière des projecteurs. Pourtant, le Portugal a une histoire bien à lui à raconter — plus discrète, certes, mais remplie de profondeur, de singularité et d'authenticité.
Les années ont passé, et — pour le meilleur ou pour le pire — nos chemins avec le Portugal se sont quelque peu séparés, du moins physiquement. Les gens, les paysages, les parfums sont restés en moi, mais à distance. La vie, cependant, a sa manière bien à elle de boucler les cercles de façon merveilleuse. Aujourd'hui, je peux dire avec fierté que j'ai trouvé un moyen de garder vivante la mémoire de mon pays de cœur — non pas comme un passé révolu, mais comme une réalité quotidienne. À travers mon travail chez Mr Vertigo, je continue à "voyager" au Portugal, en collaborant désormais avec quelques-uns des plus grands héros méconnus du vin, ceux qui méritent d'être célébrés haut et fort. En 2024, avec Yannis Siganos — qui partage mon enthousiasme pour les vins portugais — nous avons visité deux fois la « terre des explorateurs ». Nous avons littéralement parcouru ses principales régions viticoles, avec pour objectif de rencontrer en personne ceux qui se cachent derrière les étiquettes ; ceux qui transforment la terre, le climat et l’histoire en vins de caractère.
L'une des régions qui nous a profondément marqués fut le Dão — une région longtemps sous-estimée, mais qui émerge aujourd'hui comme l'un des chapitres les plus dynamiques de la viticulture portugaise. Le Dão est la plus ancienne appellation d'origine contrôlée (DOC) officiellement reconnue du pays, située au sud du fleuve Douro. La région se caractérise par ses sols granitiques et est entourée de chaînes de montagnes emblématiques, qui agissent comme des barrières naturelles, protégeant les vignobles de la chaleur sèche de l'Espagne voisine. Le résultat est une incroyable variété de microclimats, avec de fortes amplitudes thermiques entre le jour et la nuit, ce qui aide les raisins à conserver leur acidité naturelle et leur fraîcheur. La région tire son nom du fleuve Dão, le long duquel s'étendent la plupart des vignobles. Les meilleurs vignobles se trouvent entre 150 et 450 mètres d'altitude. Les grandes variations de température permettent aux raisins de "se reposer" et de préserver les précieux acides indispensables à l'élaboration de vins de grande qualité.
Pourtant, la plus grande surprise pour moi restera toujours la région de Colares, aux portes de la mystique Sintra. Un décor à couper le souffle — littéralement. C’est l’un de ces endroits qu’on ne peut décrire avec des mots. Il faut s'y tenir, ressentir la brise de l'Atlantique, contempler la beauté sauvage du paysage et laisser le temps suspendre son vol. Colares est une région viticole historique et presque mythique, située sur la côte centrale du Portugal, à l'extrémité sud-ouest de la région de Lisboa. Elle est surtout connue pour deux raisons : ses vins issus du cépage Ramisco, unique et presque disparu, et ses sols sableux exceptionnels qui lui ont conféré une incroyable "immunité" historique. À Colares, le sol est essentiel. La surface est composée de sable meuble (« chão de areia »), sous lequel se trouvent des couches plus denses et argileuses (« chão rijo »). Cette particularité est cruciale : seuls les vins issus de vignes plantées dans cette combinaison de sols peuvent porter l'appellation officielle « Colares ». Cet environnement unique a protégé la région de la dévastatrice crise du phylloxéra du XIXᵉ siècle — ce minuscule parasite qui a détruit presque tous les vignobles européens. Le phylloxéra ne peut pas survivre dans le sable, et ainsi, les vignes de Colares n'ont jamais eu besoin d'être greffées sur des porte-greffes résistants, contrairement à presque partout ailleurs dans le monde.
Le Ramisco, le cépage cultivé presque exclusivement ici, est peut-être la seule variété de Vitis vinifera au monde à n'avoir jamais été greffée. Ses vins sont puissants, avec des tanins marqués et un potentiel de vieillissement extraordinaire — de véritables expériences gustatives hors norme. Je me souviens encore de la première fois que j'ai ouvert une bouteille de Ramisco, il y a de nombreuses années. C'était comme ouvrir une porte sur un autre siècle — rugueux, indompté, mais profondément émouvant. Un vin qui te pousse à réfléchir, à presque l'écouter, plutôt qu'à simplement le boire. L'une de ces expériences qu'on n'oublie jamais. Tout comme Colares lui-même.
Aussi singulier que soit le Ramisco en rouge, la Malvasia de Colares est tout aussi mystérieuse et envoûtante en blanc. Peu de gens savent que cette région, au-delà de ses rouges puissants et aptes au vieillissement, a autrefois donné naissance à certains des vins blancs les plus remarquables du Portugal — et même au-delà. Ici, la Malvasia n'a rien à voir avec les interprétations méditerranéennes plus connues et plus "faciles". Plantée dans les sols sableux de Colares et travaillée selon les méthodes traditionnelles, elle acquiert une noblesse presque aristocratique. Avec une densité, une minéralité et une complexité que l'on ne trouve que dans les vins chargés d'histoire. Les vins de Malvasia de Colares sont souvent secs en bouche, marqués par une salinité qui témoigne de la proximité de l'Atlantique, avec des notes de fleurs blanches, de citron et d’herbes aromatiques, et une touche terrestre authentique difficile à comparer.
Ce sont des vins qui ne flattent pas facilement. Ils demandent du temps. Ils demandent de la gastronomie. Et ils réclament une âme un peu romantique, un peu nostalgique, pour vraiment être compris. Si le Ramisco est le corps de Colares, alors la Malvasia en est l'âme.
Je pourrais écrire pendant des heures encore — mais ne transformons pas cela en feuilleton. Le plus probable, c’est que j’ouvre une bouteille de mon cher Beiorte, du vieil ami João Costa, et que je poursuive mon voyage rêvé… un verre à la main. Saúde!